Vie de la nation : De la paix et de la réconciliation sociale au Mali

En attendant que j’aie l’âge d’aller à l’école, mes parents m’ont inscrit en 1970 à la médersa qui était juste en face de notre maison, dans la ville de Koro, région de Mopti. J’avais seulement 4 ans. J’étais vraiment très content de pouvoir apprendre le Coran, de lire et d’écrire en arabe. Je connaissais déjà bien des sourates par cœur. Etant enfant, les brutalités que j’y ai vécues de la part des « Moualim (maîtres coraniques) » m’ont ôté toute envie de continuer.

La bastonnade était de règle. Pour un rien du tout ! Je sortais de la maison le matin, soi-disant pour y aller, mais avec la peur bleue au ventre, j’allais m’asseoir au marché tout près, pour passer le temps jusqu’à midi, heure du déjeuner. L’après-midi, même chose jusqu’au soir. Fatigué moralement et physiquement, je ne comprenais point dans mon petit esprit d’enfant pourquoi tant de méchanceté pour apprendre le Coran, pour une faute qu’on aurait pu expliquer à un chenapan de 4 ans, sans des coups de bâton. C’est moi-même qui me suis inscrit à l’école en octobre 1972, j’avais 6 ans. Personne ne savait rien. Quand la maîtresse d’école, épouse du commandant de cercle, a su lors de l’appel que je n’étais pas sur la liste des élèves, elle était étonnée et a contacté la direction, puis mes parents. J’ai pris mon courage et ai expliqué la raison. Il a été décidé ainsi de me laisser en année préparatoire d’école.

On y battait aussi, mais c’était moins qu’à la médersa. Entre deux maux, j’ai choisi le moindre ! Ceux qui ont connu les années 70 et 80 peuvent témoigner: nous étions religieux au Mali, musulmans après être nés Maliens d’abord. Nous n’avons jamais connu ce fanatisme religieux dans le pays, cette haine et cette intolérance qui existent actuellement. Nous avons été élevés dans le respect des aînés, des parents, des adultes, dans la cohésion sociale, sans aucune différence de confession religieuse ou d’appartenance ethnique. Nous avons vécu comme une famille malienne, grandi dans la paix et le « sinankouya » (cousinage), sans les assassinats massifs et les querelles inutiles. Les meurtres, si rares, étaient du domaine des grandes sensations. Un simple divorce devenait le sujet des discussions pendant des mois dans toute la ville !

Aux baptêmes, les imams venaient, loin d’eux l’idée de demander quelque chose au préalable. Leurs récompenses, connues de tous, c’était la tête ou le cou du mouton abattu et quelques colas, tout en n’oubliant pas de les inviter pour le déjeuner ou le dîner, comme tous les amis. Aux enterrements, ils refusaient les récompenses, le faisant à cause Dieu. SoundiataKéïta, père de l’Empire du Mali, a embrassé l’Islam sans pour autant jamais interdire les autres confessions. Modibo Kéita, père de l’indépendance du Mali, a-t-il été fanatique ? C’était le Mali de mon rêve. Pourquoi voulons-nous maintenant être plus exigeants que nos ancêtres qui ont mis tant de sagesse dans l’essence des choses pour que nous soyons ce que nous sommes de nos de jours ? Dieu ne juge pas l’homme avant la fin de sa vie sur cette terre. Pourquoi, portons-nous nos exigences plus haut que celles de Dieu ? Notre déviation mentale gonflée par de prétendus leaders religieux nous fait vivre un fanatisme qui connaît le tréfonds. Dieu au Mali d’aujourd’hui, c’est de simples imams pour lesquels nous sommes prêts à nous déchirer en morceaux, tant la drogue religieuse a sérieusement entamé les esprits, y compris de ceux qui se vantent d’être sortis de grandes universités!

Jusqu’à sa chute en mars 1991, le Général Moussa Traoré a toujours lutté contre les prêches. Chérif Ousmane Madani Haïdara en sait bien quelque chose. On ne parlait même pas de Mahmoud Dicko qui était un illustre inconnu du public malien. Il y avait cependant Sékou SallaDily, un notable religieux très respecté qui parcourait le pays, organisait des courses acrobatiques de chevaux avec ses disciples, et au pied duquel nous nous jetions tous pour des bénédictions. Les prêches étaient rares, mais quand ils se faisaient à la lumière des lampes « Petromax », nous y assistions tous, pendant toute la nuit presque. Aucun gouvernement malien ne leur venait en aide pour les organiser. Les mots qu’ils prononçaient nous pénétraient jusqu’à la moelle des os, parce qu’ils parlaient uniquement de Dieu et de la religion, du pardon, du péché et de l’amour du prochain.

Les adeptes coraniques passaient devant tous l’examen, ce qu’on appelait « le coranèdjigui », littéralement la descente du Coran. Comme c’était beau et calme dans la paix et dans l’amour du prochain, qui qu’il ait été! Soudain, tout a basculé. Révolution de mars 1991, nous avions les esprits galvanisés. Au bout d’une transition exemplaire, ATT est parti comme il l’avait promis. Nous étions comblés d’espoirs pour notre Grand Mali. Une décennie après, il est revenu sans ses galons militaires dans le cadre des élections présidentielles. Je ne me trompe pas de dire que c’était tout le Mali qui le souhaitait, tant l’homme avait convaincu le pays de son sérieux et de sa parole donnée.

Sans nul doute, il a fait beaucoup d’actes nobles, poseurs de stabilité et de croissance économique. Il a commis aussi des erreurs. L’une d’elles, c’est ma conviction du jour, est la création du tristement célèbre Haut conseil islamique du Mali. A demander aujourd’hui à son âme, à lui ATT, on saurait qu’il l’avait fait dans un élan patriotique, dans le sens de l’harmonie sociale et de l’union de tous les enfants du pays. Il ne se rendait pas compte peut- être du petit serpent, grandissant déjà, qu’il avait posé sur sa poitrine. Jusqu’au scandale du nouveau Code de la famille. Ceux qu’il a portés au pinacle n’ont plus voulu le dialogue avec lui, ils ont opté pour le langage du chantage. Il a reculé devant eux, hélas ! Ce recul a ouvert la voie à l’intimidation et aux menaces religieuses que nous vivons depuis, et qui deviennent de plus en plus violentes. De ce fait aujourd’hui, nous sommes devenus le seul pays de la sous-région, voire du monde entier où l’on ne parle que de 95 ou de 98% de musulmans. De votes musulmans, même de candidats musulmans à la présidentielle ou de personnes ministrables musulmanes. C’est à en avoir les oreilles rebattues ! Plus nous parlons de religion, plus les divisions deviennent profondes, plus béates sont les déchirures causées par la haine, l’intolérance et les violences quotidiennes. A vouloir parler de ce terrible fléau religieux qui ronge notre société, vous êtes aussitôt taxé par les «drogués spirituels» d’être un anti-musulman. Ils considèrent la moindre critique contre ces religieux comme une attaque contre l’Islam, confondant ainsi leurs personnes à la religion, comme si celle-là était née avec eux.

En perte de vitesse, la classe politique n’a trouvé rien d’autre que de s’associer, c’est-à-dire de se mettre sous les bottes de ces religieux dont beaucoup n’ont pas le bon niveau du primaire scolaire. Dans un monde d’évolution socio-technologique de pointe et économique, c’est avec des gens pareils que nous souhaitons construire un Mali émergent ? Quelles notions peuvent-ils avoir des règles contemporaines régissant la vie des nations, à part des divagations puériles qui font rire les autres ? Ainsi, nous sommes devenus la risée tant dans la sous-région qu’à l’échelle continentale. Le rapprochement de la classe politique et des religieux a un double avantage pour la première. Fortement embourbée dans ses mensonges, ayant perdu du crédit, elle est devenue incapable de mobiliser les masses. Pour ce faire, elle se tapit derrière les seconds en leur graissant les pattes régulièrement. Et puis, ces mêmes religieux aident les politiques à mieux endormir la conscience sociale, faisant toujours croire à une fatalité ou la volonté divine qui gouverne tout dans notre vie. En réalité, ils craignent tous un éveil de conscience qui pourrait les descendre de leur podium pour que le peuple souverain prenne enfin sa destinée en mains pour son bien-être. Quand ils se querellent entre eux en haut, ce n’est pas pour la vérité qui devrait être dite, mais pour la cagnotte ou que l’influence est ébranlée quelque part. Alors, le stade de Bamako est pris d’assaut pour des prières soi-disant, qui ne sont que des meetings et de l’enfumage des cerveaux d’analphabètes maliens que l’on entasse pour une quelconque démonstration de force.

Une classe politique corrompue, « politiquement lâche » et moribonde, une caste religieuse prédatrice sous le manteau de la religion, mais qui défend en vérité ses propres intérêts. Une bourgeoisie compradore qui suce le sang du peuple à travers des prix gonflés malgré les exonérations dont elle bénéficie. Nul n’en a cure. Voilà l’image réelle du Mali de ce jour. Bref, la soupe à la moutarde est servie, tous en ont la bouche pleine, elle est amère à avaler. Mais personne n’ose ni la cracher ni en parler ! S’il n’y a pas de pas en avant, il en y aura donc en arrière. C’est la logique de l’évolution qui, semble-t-il, n’est plus applicable au Mali, tellement que la situation est devenue désespérée. Ce n’est pas tout. Allons maintenant vers le comble de la comédie et de la bêtise humaine aux parfums maliens. A part l’Arabie saoudite, pays d’intégristes au retard mental, mais qui a commencé à revenir à la raison depuis peu en construisant même des salles de cinéma pour un seul exemple (24 milliards de dollars de revenue par an, business oblige), dans quel autre pays du monde les religieux exercent-ils tant de pression sur le pouvoir politique ?

Les USA sont encore la première puissance économique mondiale. Entend-on dire chaque fois de la bouche des hommes politiques étasuniens que leur pays est majoritairement chrétien, ou que l’église catholique menace Donald Trump de s’exécuter ? Dans le pays où je suis, il y a 120 groupements ethniques dont seulement 8 ne sont pas musulmans. Personne ne parle de majorité musulmane! Pareille situation dans les pays normaux. Apparemment, la normalité au Mali est à la sève du Moyen- âge. Nous sommes naïvement convaincus, selon les observations, d’être les seuls fils de Dieu, alors que le Seigneur lui-même ne veut plus nous voir dans notre hypocrisie quotidienne, préférant nous laisser marcher sur le chemin satanique. Sinon, comment expliquer encore que malgré nos multiples prières de tous les jours, parfois dans un pauvre stade de 60 mille personnes, nous sommes toujours dans la merde totale ? Les prières nous ont apporté quoi ? Pour ne citer qu’un seul exemple, même pour faire la guerre, nous nous procurons des armes fabriquées par des non musulmans, alors de quoi voulons-nous nous glorifier ?

D’être les détenteurs du record du Guiness des prières ! Tant que nous ne cessons pas de dire au Mali que nous sommes 95 ou 98% de musulmans, la paix sera très difficile dans le pays. Par ces actes de « racisme religieux», nous sommes en train de diviser davantage les Maliens, en mettant au second plan ceux qui ne sont pas musulmans, faisant d’eux des citoyens de deuxième zone. Imaginons tant soit peu ce qu’ils pourraient vivre dans leurs peaux. Nous semons davantage de division, de clivage dans nos propres rangs, faisant des fissures à l’unité nationale à travers lesquelles tous les « margouillats » pénètrent facilement dans le pays, Les boursouflures n’en peuvent que devenir grandes. Sauf par manque notoire d’intelligence et de sagesse, comment les enfants d’un même pays, qui plus est en crise profonde, aspirant à la paix, peuvent-ils se diviser sur la base de religions, quelles qu’elles soient ? Ce qui nous unit d’abord, ce doit être le Mali, et non une quelconque religion! Avant le Christianisme et l’Islam, nos grands Empires africains ont existé et prospéré, celui du Mali y compris. Il est étrange de penser que ces croyances étrangères imposées de forces à nos pays seraient le levier de notre décollage, ou que sans elles, notre existence sur terre n’aurait pas de sens. L’Afrique prie déjà des siècles sans que sa situation change pour le mieux.

Si cela n’a pas suffi, rien ne suffira ! 95% de musulmans au Mali, aimons-nous dire, hein ? Nous sommes 18 millions d’habitants, et les pauvres 5% non musulmans font donc 900 mille personnes. Si nous n’avons rien pu en 2012 contre 6 mille jihadistes au nord du pays, que pourrions-nous faire donc contre ces 5% de non musulmans au cas où ils voudraient eux-aussi prendre les armes pour se défendre contre ce fanatisme musulman malien sans bornes? Rien ! A Dieu donc ne plaise, le jour où ils décideront de se lever, malgré les paroles de vantardise, une large partie des 95% de musulmans maliens pourraient prendre leurs jambes au cou ! Nous ne nous rendons pas encore compte que nous avons trop tiré sur cette corde du fanatisme religieux démesuré qui risque de rompre à tout moment. Et les ennemis extérieurs nous aideront volontiers dans ce sens à nous dresser les uns contre les autres pour mieux descendre le pays. Si le coq n’a plus rien à faire, il se rend au marché pour y vendre des couteaux !

Sékou Kyassou Diallo, Alma Ata, Kazakhstan.

Source: Le Démocrate

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