Le début du second quinquennat d’Ibrahim Boubacar Keïta est inquiétant pour le Mali. Les difficultés ne s’estompent pas ! Pas d’état de grâce, au contraire les nuages s’amoncellent sur la tête du chef de l’Etat avec une multiplication des foyers de contestations partout dans le pays. A la crise post-électorale née de la contestation des résultats de l’élection présidentielle, est venue se greffer une grogne sociale avec une cascade de grèves dans tous les secteurs d’activités. Pendant ce temps, le Mali connait une crise économique et financière sans précédent. Les caisses de l’Etat sont vides, les Maliens n’arrivent plus à faire face aux dépenses liées à la flambée des prix. Partout la tempête s’annonce. Et le président IBK doit y faire face.
Difficile début de mandat pour le président Ibrahim Boubacar Keïta. En effet, depuis son investiture le 4 septembre 2018 par la cour suprême, le chef de l’Etat fait face à une grande défiance. Une défiance politique et sociale. Une défiance politique née de la forte contestation des résultats de la présidentielle. A l’issue du scrutin du 29 juillet, plusieurs candidats ont dénoncé les conditions d’organisation et de déroulement du scrutin. Un scrutin entaché, selon eux de graves irrégularités. Conséquence ; Trois mois après les élections, l’opposition ne décolère toujours pas. Ainsi, plusieurs partis politiques de l’opposition continuent de contester les résultats et la gouvernance du régime actuel. Aussi, des partis politiques, associations et mouvements de la société civile ont décidé de s’unir pour créer le Front pour la sauvegarde de la démocratie. Ce nouveau mouvement politique répond à une forte demande d’acteurs politiques et de la société civile qui ont décidé de conjuguer leurs efforts pour « Sauvegarder la démocratie contre les dérives du régime en place». La création de cette nouvelle Coalition a pour but, entre autres, de restaurer la confiance entre les citoyens et les institutions, valoriser la bonne gouvernance, préserver les libertés et la transparence électorale… Pour le chef de file de l’opposition et membre du FSD, l’urgence est de sauver le Mali, sa démocratie et sa souveraineté. « Devant tant de terribles et funestes constats, des Partis politiques, mouvements politiques, syndicats, associations, leaders d’opinion, personnalités de toutes obédiences, citoyens attachés au respect des libertés démocratiques fondamentales, organisations faîtières des Maliens de l’extérieur ont décidé de constituer une large coalition dénommée Front pour la Sauvegarde de la démocratie ».
Signe de la détérioration du climat politique ? Deux semaines après le lancement du FSD, un autre regroupement a vu le jour ; Il s’agit de la « Convergence des Forces Patriotiques pour Sauver la Patrie ». Selon ses initiateurs son objectif est de regrouper tous les patriotes autour d’un même idéal pour défendre la démocratie et la constitution malienne. Particularité de ce mouvement, il est constitué des partis de l’opposition et de la majorité .Cette nouvelle plate-forme compte dans un premier temps se dresser contre les fraudes des élections présidentielles, la mauvaise gouvernance et le report des législatives, considéré par ses membres comme «un tripatouillage juridique». Et dans un second temps, la convergence ambitionne de créer les conditions d’un consensus politique plus large pour défendre la Constitution et restaurer la démocratie. Ce nouveau regroupement est très critique sur la décision de prolongation du mandat des députés. Selon l’ancien Premier ministre Moussa Mara président du Yelema et membre de la convergence «Il est inadmissible que des députés votent pour la prolongation de leur propre mandat. Le partenariat avec la Cour constitutionnelle n’est rien d’autre qu’un coup d’État déguisé contre la démocratie malienne». Certains responsables du regroupement estiment en revanche que «c’est la fragilité politique du pays qui joue sur l’application des différents projets de sécurité et de paix». Housseini Amion Guindo était, lui, candidat à la dernière présidentielle et ancien ministre du même président IBK, jusque-là membre de la mouvance présidentielle, il est désormais l’un des acteurs du nouveau pôle politique. Il dévoile un autre objectif de la plateforme, la gouvernance au Mali : « Notre combat contre l’omnipotence d’un homme ou d’un clan aura une valeur pédagogique. Le Mali dans sa gouvernance actuelle a besoin de consensus le plus large possible et non de mépris et d’exclusion ».
La contestation électorale perdure
La naissance de ces deux mouvements très critique à l’endroit du pouvoir actuel sont la conséquence des tensions nées de la présidentielle. En effet, les résultats des scrutins du 29 juillet et du 12 aout 2018 ont donné lieu à de fortes contestations. dix-huit des 24 candidats à la présidentielle avaient dénoncé à l’issue du premier tour les conditions d’organisation et du déroulement ainsi que les résultats de l’élection « Les bourrages d’urnes massifs dans le nord et le centre du pays, cartes d’électeurs indisponibles dans de nombreux bureaux de vote, fichier électoral mis en ligne vicié, trafic de procurations, irrégularités durant l’ensemble du processus de transmission et de compilation des résultats, incohérences flagrantes entre les suffrages exprimés en pourcentage et le nombre de voix attribuées, égarements de procès-verbaux de dépouillement, impossibilité de vérifier le nombre exact de localités dans lesquelles le scrutin ne s’est pas tenu…, la liste est accablante pour le Gouvernement en charge d’organiser ce scrutin. Les résultats annoncés ne reflètent pas le vote des Maliennes et des Maliens ! Ils ne sont ni sincères ni crédibles. Ce sont des résultats manipulés que nous dénonçons avec force » ont dénoncé ces candidats dans un communiqué
A l’issue du second tour, le chef de file de l’opposition Soumaïla Cissé a officiellement obtenu 32,83 % des suffrages, contre 67,17 % à Ibrahim Boubacar Keita. Mais Soumaïla Cissé a rejeté catégoriquement ces résultats « je refuse et dénonce ces résultats. Ils ne sont que supercherie, mascarade, parodie et mensonges. Ils ne sont que le fruit pourri d’une fraude honteuse ». En conséquence, il ne reconnaît « pas élu le président déclaré ». Pour lui, le régime actuel n’a plus aucune légitimité Il fustige aussi le comportement des institutions judiciaires : la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême : « Notre Cour Suprême, après la dernière requête de nos avocats démontrant la forfaiture de la Cour Constitutionnelle, a raté l’occasion de rentrer dans l’histoire démocratique du Mali par la grande porte. Les mensonges du gouvernement et le déni de justice de la Cour Constitutionnelle finiront par éclater au grand jour et ils seront couverts de honte devant notre peuple, devant l’Afrique et le monde ! ». Depuis l’opposition a mobilisé plusieurs centaines de milliers de personnes à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur du pays pour réclamer le respect du vote des Maliens.
Autre souci pour IBK ?
Le Rassemblement pour le Mali (RPM) fait aussi face à une véritable saignée de ses troupes. En effet, il ne se passe plus une semaine sans que cette formation politique n’étale sur la place publique sa grande division, à travers des démissions aussi fracassantes que spectaculaires. Les dissensions sont de plus en plus fortes entre la direction du parti et plusieurs cadres. Conséquence ; le départ de plusieurs députés, le départ le plus marquant reste la démission de son vice-président, Abdoulaye Idrissa Maïga, ancien premier ministre. En outre, le report des législatives a mis le parti présidentiel(le RPM) en ébullition en exacerbant le conflit interne qui le mine. Par ailleurs, de nombreuses personnes commencent à s’impatienter au sein de l’alliance qui a contribué à la réélection d’IBK ; histoire d’avoir leur part du « gâteau Mali ».
Dans ces conditions, le pouvoir peut dire adieu aux réformes politiques promises devant les Nations Unies. Un pouvoir désormais en déphasage avec toutes les forces vives du pays et incapable d’apporter la moindre solution.
Crise sociale d’ampleur
Depuis la réélection de Ibrahim Boubacar Keita pour un second mandat, le front social bouillonne avec la multiplication des préavis de grève et grèves. Les magistrats, les financiers de l’Administration, les promoteurs d’écoles privées, les étudiants, sont en grève ou menacent d’y recourir. Autres problème : les frémissements dans divers autres secteurs d’activité, notamment la Santé. La multiplication de ces grèves est le signe d’un profond malaise social qui gagne le pays. Le Syndicats libre de la magistrature (Sylima) et le Syndicats autonome de la magistrature (SAM), observent depuis le 27 août dernier une grève illimitée, sans service minimum. Ils dénoncent « l’immobilisme des autorités » dans la prise en charge de leurs revendications : la sécurisation des juridictions et du personnel judiciaire, ainsi que la relecture de leur statut et de la grille de salaire. Entre les magistrats et le gouvernement, le ton n’a cessé de monter. Conséquence : les tribunaux sont paralysés.
Par ailleurs, il n’y a pas que les magistrats qui soient mécontents du mutisme et de la négligence de la part des autorités du pays. Il y a aussi les écoles privées qui ont entamé une grève illimitée à l’ouverture des classes, Eux, ils réclament le paiement des subventions accordées par l’Etat…. Là encore, un dialogue aurait pu prévenir le débrayage qui est une réponse au détournement d’objectifs budgétaires. En effet, Comment comprendre que des dépenses inscrites dans le budget national puissent être bloquées si longtemps? Où sont donc partis les fonds programmés pour ces dépenses? Le cauchemar des promoteurs d’écoles privées est de voir les arriérés de subvention s’accumuler. L’urgence pour eux, c’est obtenir de l’argent afin de s’acquitter de leur devoir social : payer les enseignants qui encadrent les élèves subventionnés. Le drame est que la liste des mécontents s’allonge de jour en jour. On peut notamment citer les producteurs d’aliments bétail, matière première produite sur place ; les fournisseurs de gaz, produit de première nécessité pour les ménages. Même les Directeurs de finance et du matériel (DFM) et les responsables de ressources humaines ont observé une grève de 48 heures cette semaine. A cette crise politique et la fronde sociale, le Mali fait face à la persistance de la crise sécuritaire. En effet, l’insécurité gagne les villes et localités du pays. Mais IBK et son régime sont incapables d’y apporter des solutions… Le projet de loi sur le découpage territorial et le nouveau pacte pour la paix censés donner un coup d’accélérateur à l’accord de paix, sont dénoncés par l’opinion. D’où de nombreuses manifestations de rue qui ont eu lieu à Tombouctou et d’autres localités.
Mémé Sanogo
Source: L’ Aube