Chronique du Mali : Les signaux de Kidal que Bamako doit décrypter

Les nouvelles qui nous sont parvenues de Kidal en début de semaine provoquent l’effet d’un flash, c’est un signal fort qui avertit sur les risques d’arrêt du processus de paix au Mali. La situation traduit également l’étroitesse des liens entre la marche politique dans la capitale et le comportement des acteurs politiques et sécuritaires au niveau régional. Moins de cohésion et d’interaction au sein de la classe politique entre majorité et opposition donnerait plus de liberté dans les régions, notamment aux groupes armés, à s’écarter des lignes de conduite établie, ou à violer l’accord qu’ils ont signé avec le gouvernement malien.

La fin de 2018 et le début de 2019, ou encore le début du deuxième quinquennat du Président Ibrahim Boubacar Kéita ont été marqués par une situation d’effervescence au Mali ; recrudescence des attaques terroristes et entre communautés au centre, interdiction des manifestations de contestation d’une élection présidentielle, vigoureuse répression pour réduire au silence toute velléité de libre expression démocratique.

Le pouvoir croit avoir réussi une mise en quarantaine des « enfants terribles de la République», quand entrent dans la danse des leaders islamiques qui demandent au Président de la République, au cours d’un gigantesque meeting, de démettre le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga. Ils promettent de remettre ça (un stade du 26 mars rempli à refuser du monde) si cette doléance n’est pas prise en compte. La stratégie de la terreur expérimentée par le Premier ministre n’a pas payé, au contraire, le hérisson a perdu des plumes dorsales de défense. Soumeylou s’enferme dans sa tour d’ivoire et fait des déclarations à l’emporte pièce, après la démonstration de force de ses vis-à-vis: « s’ils étaient aussi forts qu’ils font croire, nous ne serions pas là car ils ont appelé à voter contre nous ». Le Premier ministre a sans nul doute raté une occasion de se taire. Conséquence, Bamako est dans la polémique. Pendant ce temps, Kidal observe et constate qu’en plus du nord et du centre qui échappent à tout contrôle de l’Etat, Bamako vacille de plus en plus près de l’abime. La CMA signataire de l’accord de paix n’a cru devoir s’en référer à personne pour édicter de nouvelles règles de la vie publique à Kidal, l’entrée y étant conditionnée à la présentation de documents comme aux frontières d’un Etat, les juges islamiques « cadi » devant avoir leurs pouvoirs renforcés. La CMA qui a rétropédalé par la suite, n’était pas sans savoir que ces mesures annoncées « constitue une violation flagrante de l’Accord et une atteinte aux prérogatives régaliennes du gouvernement de la République du Mali », comme expliqué par le président du Comité de suivi de l’accord Ahmed Boutache. Enseignement : il faut un pouvoir fort pour faire avancer l’accord et le pouvoir n’aura jamais cette force sans avoir un dialogue sincère avec l’ensemble des forces vives. Faut-il comprendre et inscrire dans cette dynamique, le coup de fil du Président IBK à Soumaïla Cissé ? Ce serait tant mieux, et cela marquerait un tournant. Lors de la célébration des 100 jours de son second mandat, le 24 décembre 2018, IBK parlant des acteurs de l’opposition suggérait «que les jeunes frères viennent voir le grand frère et lui disent ce qu’ils pensent ; et que le grand frère leur dise ce qu’il pense. Et nous avancerons ». Une allégation du bout des lèvres perçue comme manquant de réelle volonté politique de dialoguer avec l’opposition. Ce coup de fil qui vient dans un contexte où les rapports de forces politiques ne sont pas forcement du côté du Premier ministre hérisson, à l’heure des grandes mutations politiques, marque-t-il le début d’une détente ou représente-t-il une simple diversion ? En tout cas le signal de Kidal est là pour avertir. Opposition et majorité, autorités et opposants doivent mettre fin à l’autisme, le dialogue de sourds ayant atteint ses limites. Sinon, il y a un troisième larron prêt à bondir sur la scène politique. Les leaders islamiques sont également des Maliens qui ont des droits civiques, ils sont électeurs et éligibles, aiment-ils à dire.

B. Daou

Source: Le Républicain

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