Les enfants au centre et au nord du Mali restent confrontés à la persistance du conflit armé et à la difficile résistance à l’appel des groupes djihadistes, qui estiment que l’enseignement du système français ne vise qu’à détruire les valeurs religieuses. Un argument suffisant pour justifier la destruction des écoles et procéder à l’enrôlement massif des enfants.
Au centre du Mali, plus particulièrement dans la région de Mopti, les souvenirs des habitants du cercle de Youwarou sont encore frais. Le mercredi 24 mai 2017, des djihadistes armés jusqu’aux dents ont procédé à la démolition de toutes les salles de classe de l’école primaire de Ndodjiga, l’une des plus importantes communes de la zone.
Aussitôt après, les djihadistes ont lancé une vaste campagne de dénigrement contre les écoles enseignant la langue française. Ils profitent du vide sécuritaire dans la région pour brûler et démolir des écoles, menacer les enseignants et enrôler les enfants dans leurs rangs. Lors des prières du vendredi dans les mosquées, ils lancent des messages appelant « à fermer les écoles et à accorder plus de place aux medersas» comme nous l’expliquent certains interlocuteurs sous le sceau de l’anonymat.
Adolescents djihadistes et mendiants espions
Yacoub Diallo est un nom attribué à un enfant malien et ancien combattant dans les rangs de la Katiba d’Ançar Dine du Macina. Ce groupe est dirigé par Amadoun Koufa qui est aussi l’un des membres fondateurs de la coalition regroupant tous les mouvements djihadistes au Sahel affiliés à Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), « le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans » dont l’annonce de la création a été faite en mars 2017.
« La Katiba d’Ançar Dine a enrôlé de nombreux adolescents comme moi pour les former à mener diverses opérations allant de l’espionnage dans certaines régions à des opérations suicides en passant par la participation aux combats »
Yacoub Diallo fait partie des deux cent jeunes qui ont accepté de déposer les armes et de quitter les rangs des djihadistes, en mars 2016, dans la région de Mopti. Un processus rendu possible grâce à l’implication des élus locaux et des notabilités de la région. Actuellement, le jeune homme vit avec un maître coranique qui tente de déconstruire en lui l’argument selon lequel c’est l’Islam qui a recommandé le recours à la violence.
A en croire Yacoub Diallo, qui dit avoir rejoint ce groupe à l’âge de 16 ans, lors de son adhésion, il était en compagnie de 15 autres adolescents de son âge. Ils ont subi un entraînement militaire à Laro, une localité proche de Tenenkou (région de Mopti). A l’en croire, d’autres adolescents les ont rejoints plus tard et dont la majorité sont des Bambara et des Mossi en provenance de Ségou (Mali) et du Burkina Faso. Un témoignage qui prouve que, contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas que les enfants peuls qui sont enrôlés dans ces groupes djihadistes, mais aussi ceux issus d’autres communautés.
« La Katiba d’Ançar Dine a enrôlé de nombreux adolescents comme moi pour les former à mener diverses opérations allant de l’espionnage dans certaines régions à des opérations suicides en passant par la participation aux combats », explique Yacoub Diallo. Il indique aussi que certains adolescents étaient utilisés comme mendiants pour glaner le maximum d’informations dans les villes et les villages au profit de ces groupes.
Généralement, les informations données par ces enfants mendiants sont relatives aux mouvements des forces armées, à la localisation d’un endroit stratégique que les djihadistes veulent cibler.
A la différence de Yacoub Diallo, Oumar le Tombouctien est encore en activité dans les rangs d’Ançar Dine. Nous l’avons rencontré alors qu’il rendait visite à ses proches à Tombouctou comme le lui autorisent ses employeurs à la fin de chaque trimestre. Oumar déclare avoir rejoint le groupe dirigé par Iyad Ag Ghali avant l’âge de 17 ans, alors qu’il était censé passer le baccalauréat en ce moment là.
Il explique sa décision de rejoindre les rangs des djihadistes par la mort de ses parents suite au conflit de 2012 et la fermeture des écoles dans la zone. En adhérant à ces groupes, il pensait donc pouvoir assurer la survie de ses frères et sœurs dont il avait la charge.
Actuellement âgé de 21 ans, Oumar affirme avoir déjà mené sept combats dont le dernier en date s’est déroulé à Farach, localité située à environ une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Tombouctou.
« Ce combat a été lancé par le bataillon Al-Furqan d’AQMI contre un groupe d’apostats et d’espions aux ordres du colonel Abass Ag Mohammad Ahmed. J’ignore le nombre de personnes que j’ai tuées lors des sept combats que j’ai menés, mais je puis vous dire qu’elles sont nombreuses », déclare-t-il.
L’attaque à laquelle Oumar fait allusion a eu lieu le 18 décembre 2016 et avait été confirmée par plusieurs sources dont le Colonel Abass Ag Mohamed Ahmed lui-même, sur les ondes de plusieurs radios comme VOA/Afrique.
«J’était entièrement convaincu que mon Jihad est pour la cause de Dieu. Tous les jours, je m’attendais à mourir pour aller au paradis et quitter la souffrance de la vie ici-bas»
Quant à Aljamat Ag Hady, un ancien combattant d’Ançar Dine qui a réussi à échapper à l’emprise de ce groupe radical, il vit toujours dans la région de Kidal mais ses tuteurs ne veulent pas qu’on cite leur position exacte, par crainte de représailles des djihadistes.
Selon ses anciens enseignants, que nous avons rencontrés à Kidal, Aljamat Ag Hady était un brillant écolier avant d’être arraché des mains de ses parents il y a quatre ansde cela, par les djihadistes.
Le jeune homme a déclaré que son entraînement a duré 6 mois dans les montagnes de Tegar-Ghar, situées au nord-est de Kidal, près de la frontière algérienne. C’est sur place qu’il dit avoir appris le maniement de plusieurs types d’armes dont la Kalachnikov, la mitrailleuse Dushka et les roquettes RPG.
«J’était entièrement convaincu que mon Jihad est pour la cause de Dieu. Tous les jours, je m’attendais à mourir pour aller au paradis et quitter la souffrance de la vie ici-bas», indique-t-il.
Lors de sa formation militaire, explique-t-il, il était en compagnie de 37 autres adolescents dont le plus jeune n’avait que 13 ans.
Aljamat Ag Hady dit avoir connu certains d’entre eux à l’école avant la crise de 2012 qui a conduit à la fermeture de plusieurs salles de classes dans la région de Kidal. Actuellement, il travaille avec son oncle dans la réparation de véhicules et souhaite tourner définitivement la page des années passées entre les griffes des radicaux.
« Depuis cinq ans, il n’y a pas d’école dans toute la zone inondée de la région de Mopti », selon Sidiki Koné, l’expert sur les questions de Jeunesse, Population et Développement et ancien fonctionnaire du système des Nations unies. Pour lui, cette situation est due à l’absence de l’Etat et de ses services dans la zone. Aussi, a-t-il regretté, le fait que le phénomène prenne de l’ampleur dans la mesure où l’insécurité s’est étendue dans la région de Koulikoro, obligeant des écoles de Banamba et Nara à fermer.
«La cinquième région administrative du Mali dispose de nombreuses écoles, mais plusieurs d’entre elles, soit environ 24%, ont dû fermer à cause de l’insécurité qui sévit dans toute la zone du Macina », affirme pour sa part, le professeur Abdoulaye Diarra, chef du département de l’éducation de base à l’Académie d’enseignement de Mopti. Il soutient que les écoles les plus touchées sont celles se trouvant dans les cercles de Djenné et Tenenkou, avec un total de 142 écoles fermées et des centaines d’enseignants n’ayant plus accès aux salles de classe. Selon lui, environ 16 638 enfants ont abandonné les cours, vu la dégradation de la situation sécuritaire dans les cercles de Douentza, Tenenkou, Djenné et Youwarou.
La zone du Macina se vide de sa population
Le Pr. Diarra est convaincu que le cercle de Tenenkou est le plus touché par cette insécurité, dans la mesure où la proportion des établissements d’enseignement qui ont fermé avoisine les 64%, selon lui.
Cette localité a été le théâtre de nombreuses attaques depuis la fin de l’année 2016. Ce qui a conduit de nombreuses familles à abandonner leurs terroirs à la recherche de refuges plus sûrs où l’éducation de leurs progénitures pourra être assurée. La plupart du temps, ces familles se dirigent vers Mopti ville ou d’autres localités plus au sud, dont Bamako, dans l’espoir de trouver plus de quiétude et de sérénité.
« Quelques fois, il nous est même arrivé de recevoir des menaces de mort de la part de groupes djihadistes. Très souvent, on nous demande de quitter la zone en nous traitant de complices de l’Etat »
Selon le dernier rapport de l’UNICEF, au moins 750 écoles ont été fermées dans l’ensemble du pays privant un million d’enfants d’éducation. Une information soutenue par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires qui indiquedans son dernier bulletin de l’année 2018 que lors de la rentrée scolaire, en octobre dernier, 62% de ces écoles fermées sont situées uniquement dans la région de Mopti. Pour cette structure, ces établissements représentent 15% des écoles des régions affectées et 39% des écoles des communes touchées par les conflits.
La peur et l’inquiétude sur le visage, Mohammed Doukouré, un enseignant d’école fondamentale dans le cercle de Tenenkou, affirme que les meurtres et enlèvements ciblant le personnel de l’administration locale, y compris les agents de l’éducation, ont causé plus de chaos et entraîné un déplacement massif des enseignants et des élèves obligés de quitter la région. « Quelques fois, il nous est même arrivé de recevoir des menaces de mort de la part de groupes djihadistes. Très souvent, on nous demande de quitter la zone en nous traitant de complices de l’Etat », déclare-t-il.
Quand le JNIM étend son influence dans le Nord du pays
Le faible déploiement des autorités administratives et sécuritaires du Mali sur toute l’étendue du territoire national a donné l’occasion au « Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans » (GSIM ou JNIM) dirigé par l’ancien diplomate malien, Iyad Ag Ghali, d’intensifier sa présence sur le terrain. Du coup, ce groupe est en train de réussir à étendre son influence absolue sur de nombreuses localités dans le nord du pays où le gouvernement de Bamako et les forces internationales ne contrôlaient que les grandes villes comme Tombouctou et Gao.
Les autorités de Bamako n’ont quasiment aucune emprise sur de nombreuses localités de cette partie du territoire malien telles que Tin Hama, Almoustarat, Tarkint (région de Gao); Gargando,Douékiré, Farach, Ber, Zarho, Tehardjé (région de Tombouctou) en plus toute la region de Taoudenit. C’est ce qui justifie la fermeture des écoles classiques dans ces zones où seules les médersas enseignant la religion musulmane sont autorisées par les djihadistes depuis 2012.
« Les djihadistes lancent des sermons religieux dans certaines mosquées pour inciter les gens à ne plus envoyer leurs enfants à l’école classique, mais plutôt dans les médersas»
« Avant la fermeture des classes du fait de l’insécurité, les djihadistes nous demandaient à chaque fois ce que nous faisions ou disions dans les salles de classe », nous a confié un ancien enseignant basé à Tessalit, dans la région de Kidal, à l’extrême nord-ouest du Mali. Avant d’ajouter que les djihadistes leur reprochent d’être responsables de tous les maux de la société au Mali, comme la corruption, la mauvaise gouvernance et les problèmes communautaires. De mauvaises pratiques qui, selon eux, sont héritées de la colonisation française à travers le système d’enseignement. « Ils (les djihadistes, ndlr) lancent aussi des sermons religieux dans certaines mosquées pour inciter les gens à ne plus envoyer leurs enfants à l’école classique, mais plutôt dans les médersas», nous révèle-t-il.
Si dans les autres régions, on a du mal à distinguer les enfants et les véritables combattants, à Kidal, c’est bien visible. Selon, un responsable de la sécurité pour le compte de la Plateforme (coalition de groupes armés signataires de l’accord d’Alger entre le gouvernement malien et les rebelles) à Gao qui a requis l’anonymat : «il y a de nombreuses localités dans lesquelles nous ne pouvons pas entrer bien qu’on ait signé l’accord d’Alger. Une situation valable aussi pour l’armée malienne. Il s’agit de Kidal et Taoudenit ». Pour lui, ces localités sont devenus des planques pour les djihadistes”. Il ajoute qu’à Kidal, «beaucoup de partisans d’Iyad Ag Ghali, majoritairement des adolescents, s’y cachent et commettent de nombreuses attaques ».
Ce responsable de sécurité indique qu’ils ont reçu des informations « confirmant que des camps d’entraînement sont présents un peu partout dans plusieurs localités de la région de Kidal.» Et que «les habitants de cette localité sont contraints de collaborer avec les djihadistes ». A l’en croire, c’est la raison pour laquelle, ils font profil bas lors des patrouilles militaires, que ce soit celles des mouvements signataires de l’accord ou celles des forces françaises de l’Opération Barkhane.
En effet, depuis un certain temps, les soldats français intensifient les interventions dans cette zone. Ce qui les avait conduits à la découverte d’une planque dans le secteur d’In Tachdaït, en mars 2017, où une importante quantité d’armes et de munitions a été saisie.
Par ailleurs, fin octobre de la même année, les soldats français ont mené un raid meurtrier contre un camp d’entraînement de terroristes dans la zone d’Abeïbara (Kidal). Une opération qui s’est transformée en bavure militaire puisque 11 soldats maliens, enlevés en 2016 et détenus par les terroristes dans cette localité, y avaient péri.
« Le djihadiste est accepté parce que la société pardonne »
Selon Cheikh Ould Lemine, un sexagénaire dont le fils est revenu après trois ans passés dans les camps d’AQMI, les parents pardonnent à leurs enfants puisque le pardon fait partie de leur tradition. Il cite un proverbe qui dit : «pardonnez aux enfants et respectez vos aînés ». L’autre facteur qui favorise la réinsertion des jeunes ex-jihadistes, c’est la joie de leurs familles de les voir revenir après une longue absence. D’autant que leurs proches avaient perdu tout espoir de les revoir un jour.
« Je ne pardonnerai jamais à celui qui tue mon fils unique, mais j’ai pardonné à ce dernier parce qu’il n’était pas sain d’esprit et ne savait pas ce qu’il faisait en rejoignant ces groupes ».
Abdul Rahman Ansari, un octogénaire vivant à Tombouctou, a livré un témoignage sur son fils qui avait rejoint les djihadistes pour combattre dans les rangs du groupe Al-Mourabitoune en 2013. Le visage marqué par la douleur et l’anxiété, il déclare: « Je ne pardonnerai jamais à celui qui tue mon fils unique, mais j’ai pardonné à ce dernier parce qu’il n’était pas sain d’esprit et ne savait pas ce qu’il faisait en rejoignant ces groupes ». Il ajoute que malgré l’exil de son fils, c’est quand même celui-ci qui supportait toutes les charges de la famille puisqu’il envoyait suffisamment d’argent. « Je lui pardonnerai, même s’il était mort en commettant un péché», s’exclame-t-il.
Pourtant, une fois de retour au sein de leurs familles, ces adolescents partis grossir les rangs des groupes djihadistes, ont parfois du mal à être acceptés dans la société. C’est là qu’interviennent certaines organisations humanitaires comme le Comité International de la Croix-Rouge, qui facilitent la démobilisation de ces adolescents et assurent leur réadaptation et leur réinsertion sociale. Cela, dans le but de reconstruire les sociétés déchirées.
Même si ces organisations manquent cruellement de fonds pour soutenir la réinsertion de ces ex-djihadistes, l’espoir n’est pas totalement perdu. En effet, pour répondre aux besoins de ces enfants déscolarisés du fait de la crise, l’ONU estime qu’un montant de 22 millions de dollars est nécessaire. Jusqu’ici, seuls 6%, soit 1,3 million, de cette somme ont déjà été débloqués. Sans ces fonds, il sera difficile, voire impossible, de mettre fin à la spirale des enfants ou adolescents qui rejoignent les groupes djihadistes. Et sans une présence plus effective et significative de l’État et ses partenaires dans ces zones, une génération entière risque d’être sacrifiée.
Avec CENOZO
Kibaru