Dans son ouvrage « La République expliquée à ma fille », l’écrivain, philosophe et haut fonctionnaire français, Régis Debray écrit : « Le citoyen, c’est celui qui participe de son plein gré à la vie de la cité. Il partage avec ses concitoyens le pouvoir de faire la loi. Le pouvoir d’élire et, le cas échéant, d’être élu. Si tu fais la loi, il est normal que tu lui obéisses. Ça s’appelle le civisme. Et si tout le monde s’arrangeait pour ne plus payer d’impôts, il n’y aurait plus de gendarmes, ni de lycées, ni d’hôpitaux, ni d’éboueurs, ni d’éclairage public, parce qu’il faut de l’argent à l’État ou à la ville pour entretenir tous ces services. »
« Le problème n’est pas seulement le pouvoir d’Etat, c’est aussi et surtout le Malien lui-même. Il faut arriver à le changer. Pas évident ! Tant que l’appât du gain facile restera la base de la philosophie du citoyen ordinaire, rien de bon ne se fera dans le pays. Tant que le mensonge, l’hypocrisie, la cupidité, la fourberie et la méchanceté resteront au cœur de la citoyenneté, il n’y a rien à espérer. Il suffit de voir le spectacle de la ruée actuelle à travers les associations créées pour capter les sommes d’argent distribuées à l’occasion par les candidats. Devant l’argent, aucune morale. Tous les coups sont permis. La corruption est devenue le système national de débrouillardise à tous les niveaux, aussi bien au niveau de l’Etat, des appareils civils comme militaires, des secteurs de la société civile et religieuse. Les rapports sociaux en sont dénaturés. Le mal est profond. L’incivisme a atteint un tel degré qu’il menace l’avenir même du pays ». Ces phrases du Pr Issa N’Diaye, philosophe et homme politique résume en quelques mots l’état dans lequel se trouve la société malienne.
Le chroniqueur Bokar Sangaré, un jeune talent qui fait honneur à la jeunesse consciente, écrivait récemment qu’il ya très peu de patriotisme dans ce pays. La démocratie, écrivait le jeune auteur journaliste en faisant allusion à Sami Tchak dans son œuvre « La fête des masques », au lieu de créer des citoyens, a fabriqué des bigots qui ressemblent à « cette masse dont la vie, telle celle des bêtes, se résumait à chercher à bouffer, à chier, à copuler, à enfanter, à crever, cette masse dégoutante».
Le Malien dans sa majorité est plus soucieux de ses affaires quotidiennes que du développement du Mali. Aujourd’hui, on vante les mérites du mensonge, de la malhonnêteté, de la lâcheté, du déshonneur dans ce Maliba où l’intégrité, la droiture, la loyauté étaient des valeurs de référence. La parole d’honneur n’a plus de sens. On n’a plus foi en l’avenir du Mali mais en l’argent dont tout le monde connaît la provenance. La jalousie, l’égoïsme, la fierté mal placée empêchent d’avancer cette nation dont les fils se glorifient (en se tapant la poitrine) avec les faits d’armes de leurs aïeuls.
Conçue comme un remède aux maux de la société, notre pratique démocratique a enfanté de curieux acteurs dont les actes concourent plutôt à tuer la mère patrie qu’à la bâtir. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une démocratie de façade qui ne sert que les intérêts d’une élite plus affairiste que patriotique.
Il serait trop injuste de mettre cette perversion du citoyen malien et cette clochardisation de la société malienne sur le dos des démocrates sincères et des patriotes convaincus qui ont réussi la prouesse de donner le dernier coup de grâce au système éducatif. De nombreux maux qui minent la gestion des affaires publiques trouvent leurs sources dans les agissements de ceux qui ont balayé sans vision les responsables de la première République.
Les Maliens doivent changer de comportement pour redevenir de véritables citoyens conscients, avant tout, de leurs devoirs vis-à-vis d’un pays qu’ils doivent bâtir et non détruire. Des citoyens qui incarnent les vertus si chèrement défendues par les pères de l’indépendance du Soudan français, à savoir : l’honnêteté, le courage, l’amour de la patrie.
Sans un tel changement de mentalité impulsé par un leadership fort, il faut craindre pour le Mali. Et le Président de la République qui sera élu à l’issue du scrutin d’hier dimanche 12 août 2018 ayant opposé les candidats Ibrahim Boubacar Kéïta et Soumaïla Cissé, doit réussir à faire changer le Malien.
CD
Source: Le Challenger